6‏/1‏/2015

18 rue des souvenirs


  Par un beau  matin de novembre, j’ai pris mon appareil photo, et mes pieds se sont chargés de me ramener jusqu’à cette petite ruelle où se trouve cette vieille maison… Là où mes souvenirs d’enfance résident au 18 rue Jamaa Ghorbel. Dans cette ruelle sans âge.
En face, contrastant avec cette ruelle peu fréquentée et avant de tourner la tête à droite, notre regard est aussitôt captivé par un spectacle haut en couleur à dominante rouge crée par des fils de laine séchant au soleil, et par le bleu omniprésent de la façade d’un édifice accueillant quelques commerçant absorbés par leur besognes, et des passants sombrant dans leur quotidien . Ce passage en couleur nous fait un peu oublier la poubelle par terre...
 Lorsque j’ai tourné la tête à droite,  j’ai croisé le regard de ce chat assis  du bon côté de la porte gardant sa maison, tel un Sphinx devant son temple. Il se prélasse dans cette chaleur étrange d’automne, sans se soucier du temps et des gens qui passent.
 Le spectacle qui s’étale devant l’objectif de mon appareil photo est identique à celui que j’ai gardé dans mes souvenirs. J’avais le sentiment de croiser le regard de la petite fille aux yeux verts qui contemplait parfois une parcelle du ciel à travers la minuscule fenêtre, tout en goûtant à ses premiers plaisirs de lecture, naviguant dans l’espace et le temps.
 Froid, et rugueux, ce mur est auréolé de moisissures de couleur blanche verdâtre, et tacheté d’un noir bleuâtre. Il expose avec mélancolie et résignation son aspect dégradé et bombé par endroits, ses pierres écaillées et éclatées fruit du temps et des intempéries
Je contemple, désolée, les fils d’électricité d’antan et la germination d’une plante dont les graines étaient emportées par les vents.
 La vision de cette maison qui surgit de mes souvenirs, me donne l’impression que la vieille porte bleue mal retapée et noircie par endroits, et les deux fenêtres minuscules fermées, attendaient l’accord du chat, pour me permettre d’entrer.
À ce spectacle de couleurs et de formes, s’offre à moi, en ce jour de novembre, les odeurs du passé qui hantaient mes souvenirs. Une étrange mixture de parfums à la sensation agréable et désagréable à la fois. À l’odeur épouvantable d’urine, de poubelle et de moisissure, s’ajoute le parfum pimenté de la nourriture typiquement tunisienne.
Le calme de cette petite ruelle n’est qu’une apparence. Le jour est percé par une note musicale répétitive, stridente et grinçante de la soierie, là où se fait le tissage au fil de soie du Safsari, la couverture traditionnelle,  jadis utilisée par les tunisoises à leur sortie de chez elles. La nuit c’est le miaulement des chats en chaleur, la toux des passants, les vomissements des ivrognes, qui se chargent de meubler ce silence, et d’empêcher cette petite fille aux yeux verts de dormir, mais heureusement qu’il y avait aussi le ronronnement des chats.

RAOUDHA SELMI
12 novembre 2013