21‏/11‏/2022

Le fantastique, le sordide et le surréaliste dans les nouvelles littéraires de Raoudha SELMI


L’ab­so­lu fé­mi­nin, entre ange et dé­mon !

Raoud­ha Sel­mi exa­gère ra­di­ca­le­ment des per­son­nages qu’elle fait évo­luer dans un monde psy­cho­tique pour nous éveiller à cette vé­ri­té que cer­tains épi­sodes de notre exis­tence pour­raient nous mettre face à des images de qua­si-dé­mons ve­nus de mondes pa­ral­lèle

  • Sar­rah O. BAKRY

L’une des ma­nières les plus fé­condes de lire cet ou­vrage est sim­ple­ment de se com­por­ter comme un ma­thé­ma­ti­cien qui ra­mè­ne­rait une équa­tion à son ex­pres­sion la plus pure, sans fio­ri­tures et sans ar­ti­fices. C’est de la sorte que l’on pour­rait ra­me­ner le sens de ces nou­velles, qui na­viguent entre le sor­dide et le fan­tas­tique, à des ren­contres de tous les jours qui portent en elles des vices éton­nants, nous lais­sant sans voix et sans ré­ac­tion.

Le fan­tas­tique, le sor­dide et le sur­réa­liste

Un re­cueil de 14 nou­velles et de 15 poèmes qui nous montre à quoi nous at­tendre dès les pre­mières pages, alors que la so­li­tude de femmes de tous âges dans l’at­tente du père ab­sent ac­cu­mule les né­vroses de la dé­pen­dance et du déses­poir. Puis nous voi­ci de plain-pied dans l’uni­vers our­di par Raoud­ha Sel­mi quand un jour­na­liste et une peintre se ren­contrent de­vant un ta­bleau la­cé­ré de sym­boles avant de dé­cou­vrir qu’ils ont eu la même nour­rice, celle dont l’odeur est celle de la terre après la pluie. Mais ce n’est pas un ha­sard, elle se ré­vèle un dé­mon ve­nu d’un es­pace pa­ral­lèle pour l’anéan­tir, un ra­pace de nuit que le des­tin à dé­pê­ché pour mettre fin, non pas à son exis­tence, mais à sa souf­france. L’au­teur re­vi­site ain­si le sor­dide et le sur­réa­liste dans une va­riante entre les contes des grands au­teurs du genre et les his­toires d’an­goisse que nous nous sommes lais­sé conter dans notre en­fance de Magh­ré­bins croyant dur comme fer aux djinns et aux éma­na­tions sa­ta­niques. Et voi­ci un tueur en sé­rie qui sup­prime ses voi­sines avant d’en pla­cer des quar­tiers en­tiers dans son fri­go, une coif­feuse à faire dres­ser les che­veux sur la tête, un en­fant qui dé­fie une âme dam­née, une femme dé­te­nue par un sa­tyre dans un lieu de ré­clu­sion où elle n’a d’autres com­pagnes que des psy­cho­tiques ir­ré­ver­si­ble­ment alié­nées.

Une nou­velle femme qui n’est pas en­tra­vée par la dé­pen­dance Des scé­na­rios de films d’hor­reur qui semblent pio­cher dans les pires cau­che­mars à la re­cherche de chi­mères fan­tas­tiques qui sont là, à l’af­fût, dans la pé­nombre, guet­tant le mo­ment pro­pice pour dé­vas­ter une exis­tence dé­jà ra­va­gée par la confu­sion. Comment ? Tout sim­ple­ment en ti­rant pro­fit de sa pro­pen­sion au vice. C’est le point faible dans les ar­mures, ce­lui qui per­met aux femmes d’at­ti­rer les mal­heu­reux dans des tra­que­nards im­pos­sibles à évi­ter, exac­te­ment comme le font les hommes en ti­rant pro­fit d’un mo­ment d’in­cli­nai­son au vice, sou­vent dans un vie par ailleurs ran­gée et conven­tion­nelle. Car les femmes ont leur re­vanche dans l’ou­vrage, elles sont aux pre­mières loges, pas tou­jours vic­times. Au contraire, l’au­teur se plaît à leur ac­cor­der des pou­voirs de ma­gique sé­duc­tion qui l’em­porte sur l’homme à tous les coups, sem­blant rap­pe­ler que, dans l’arbre gé­néa­lo­gique des es­prits du mal, les si­rènes sont pa­rées de tous les atours mais res­tent dans ce qu’elles sont par na­ture : des dé­mons. Ces per­son­nages ne sont donc pas me­nés par les évé­ne­ments, elles en sont les ins­ti­ga­trices, elles ont leur propre lo­gique, elles ont leurs plans, leurs propres ap­pé­tits, ne re­culent pas de­vant l’ac­tion. De quoi tis­ser un ca­rac­tère, les traits du por­trait-ro­bot d’une nou­velle femme qui n’est pas en­tra­vée par la dé­pen­dance, un être wag­né­rien qui porte la pro­messe de tout un monde gra­vi­tant au­tour de cette nou­velle femme. C’est l’Or du Rhin à re­bours, avec des Wal­ky­ries qui ne se pré­oc­cu­pe­raient pas d’ame­ner les hé­ros tom­bés dans la ba­taille vers le Wal­hal­la mais qui pren­draient les de­vants pour si­gni­fier que l’homme nou­veau pro­mis par la tri­lo­gie peut être avan­ta­geu­se­ment rem­pla­cé par une femme nou­velle.. Jeunes femmes effarouchées, 107 p., mou­ture arabe Par Raoud­ha Sel­mi Edi­tions Zay­neb, 2017 Dis­po­nible à la li­brai­rie Al Ki­tab, Tu­nis.